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La tradition indienne, si soucieuse d’établir un Ordre à partir du Chaos primordial, est à l’origine d’une théorie extrêmement complexe qui sert de fondement aux voies du Yoga et qui fait du corps un champ d’investigation d’une richesse infinie : elle définit l’être incarné comme composé de différents « corps » ou « fourreaux » successifs (sharira) représentatifs des différents niveaux de fonctionnement de l’humain (physique, énergétique, émotionnel et intellectuel) et organisés autour d’un centre où siège la Conscience. Cette même « physiologie mystique » décrit un certain nombre de cakra (roues, cercles) interdépendants, assimilables à des « niveaux d’être ». La voie du Yoga offre de nombreuses techniques « d’ouverture de conscience » et de purification permettant de les transcender. L’être, ainsi métamorphosé, peut alors accéder à l’expérience de cette Conscience suprême et infinie.
Un des drames de l’homme contemporain, provient de ce que cet ordonnancement subtil est mis en déséquilibre, voire en rupture ; le dysfonctionnement qui s’ensuit engendre alors toutes sortes de désordres tant sur le plan du microcosme humain que sur celui du macrocosme dans lequel s’inscrit l’Univers tout entier.
En effet, deux pôles prennent aujourd’hui une place prépondérante au détriment des autres : l’un, relié aux valeurs matérielles de la vie conduit l’homme moderne à surestimer le rôle du corps, à une simple enveloppe charnelle et à privilégier « l’avoir » sur l’« être » ; l’autre valorise l’activité hyperationnalisante du cerveau et accentue les tendances de notre mental à la dispersion. Le subtil équilibre qui permet à l’être de s’exprimer harmonieusement dans toutes ses dimensions (physique, émotionnelle, intellectuelle et spirituelle) est rompu et, dans bien des cas, les possibilités d’évolution vers plus de plénitude s’en trouvent oblitérées.
Entre les deux, le cœur est devenu un lieu d’« appoint », confiné à son rôle de simple réceptacle des activités sentimentales, symbole de l’amour profane, de l’amitié et de la droiture …
Mais la nostalgie est là, de plus en plus intense, qui pousse bien des êtres, conscients de ce déséquilibre et des souffrances qu’il engendre, à retrouver les valeurs oubliées, à redynamiser cette partie d’eux-mêmes laissée dans l’ombre, à explorer leur dimension d’intériorité et réhabiliter le cœur en tant que siège de la connaissance, de l’intelligence, de la sagesse, de la vie affective …
Cependant, le chemin est long et ardu. Il nécessite beaucoup de temps, de patience, de réflexion et un désir très fort d’abandonner le superflu pour laisser place à l’Essentiel et redonner à ce centre, intermédiaire entre le plan vital et le plan intellectuel sa valeur de lieu « crucial », situé à la croisée des valeurs symboliques de l’horizontalité et de la verticalité et, ainsi, nous éclairer et nous relier à la source de lumière qui occupe l’espace du cœur.
Elisabeth Libraire